jeudi 9 avril 2015

"Cavanna meme pas mort": François Cavanna vu par Denis Robert

Personne n'en voulait, jusqu'au 7 janvier. Alors ce portrait du père d'“Hara Kiri” et de “Charlie Hebdo”, Denis Robert l'a financé avec d'autres admirateurs du dessinateur. Un film à voir sur Télérama.fr jusqu'au mercredi 8 avril, 19h.



Après cinq années de batailles acharnées, Denis Robert livre un tendre portrait du père d’Hari-Kiri et de Charlie Hebdo, disparu en janvier 2014. Etayé par de longs entretiens complices avec Cavanna, son film loue la vivacité et l’humour pugnace de l’auteur des Ritals. Faute d’avoir trouvé une écoute auprès des grandes chaînes hertziennes, le journaliste ennemi de la délinquance financière a recouru au financement participatif et obtenu l’aide d’antennes plus modestes, comme Toute l'histoire, qui le diffuse mercredi 8 avril à 20h45. Alors qu’il peaufine une version longue de Cavanna, même pas mort pour le cinéma (Jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai, qui devrait sortir avant l'été), il revient sur la fabrication de ce film-hommage, aussi mouvementée que son sujet.

[La diffusion sur Télérama.fr est désormais terminée]

Pourquoi est-ce une chaîne du câble qui diffuse votre portrait de Cavanna ?

Ce documentaire, aucune chaîne n’en voulait ! Personne n’a osé me le dire mais j’ai compris que pour les directeurs de programmes, Cavanna était trop vieux. C’est terrible : je peux faire tous les films que je veux sur des grèves dans des usines, sur la finance, mais Cavanna, ça ne passait pas ! J’ai frappé à toutes les portes : Arte, France 5, Canal +, France 2, France 3, Paris Première, je suis même allé voir M6... L’attitude la plus lamentable est venue de France 5 et de la collection Empreintes : ils m’avaient donné leur accord, pour tout annuler deux ans après. J’ai donc décidé de faire le film seul, avec ma fille Nina. Peu de temps avant la mort de Cavanna, comme le film coûtait cher en archives, j’ai de nouveau démarché des chaînes : Toute l’Histoire a répondu oui. Et Jean Chollon, le patron de France 3 Poitou-Charentes, m’a également soutenu. Bon, évidemment, après le 7 janvier et l’attentat à Charlie Hebdo, tous les autres m’ont rappelé...

Dans la carrière prolifique de Cavanna, entre le romancier des Ritals, le pamphlétaire, créateur d’une presse bête et méchante, et l’immense découvreur de talents, quel aspect du personnage vous touche le plus ?

Je me suis engagé dans ce projet lorsque j’ai réalisé que Cavanna, autrefois adulé par de nombreux lecteurs, était un peu oublié. Quand j’intervenais devant des étudiants, dans des classes d’écoles de journalisme ou devant des futurs documentaristes, si je citais son nom, la plupart ne savaient même pas qui il était ! J’ai donc voulu montrer qu’au-delà de la mort d’un écrivain, sa disparition marque surtout la fin d’une époque journalistique, la fin d’une certaine conception de la presse. Il ne faut pas oublier que sans lui, sans ses combats pour la liberté d’expression, nous n’en serions pas là. Certains m’ont reproché d’avoir fait un film d’aficionados, mais c’est exactement le contraire. Cavanna est un type que j’appréciais humainement, énormément, mais je ne l’ai jamais idolâtré. D’ailleurs, depuis janvier, nous avons fait quelques projections, et beaucoup de lycéens ou de jeunes gens qui ignoraient tout de lui ont eu les larmes aux yeux ! C’est normal : il y a une telle humanité qui sort du bonhomme !

Dans votre hommage, vous n’éludez pas les sujets qui fâchent : Choron et sa gestion calamiteuse d’une rédaction ; la naïveté de Cavanna, spolié de ses droits, lors de la relance de Charlie Hebdo, en 1992. Avez-vous hésité avant de révéler certaines informations ?

Au festival d’Angoulême, où l’on a présenté le documentaire, en janvier, je n’ai cessé de répéter que ce film était un objet de paix ! Je ne veux pas que l’on interprète mal mes intentions : cela n’a absolument rien à voir avec un règlement de comptes. Evidemment, beaucoup se sont attardés sur ce passage où Delfeil de Ton [ancien rédacteur en chef d’Hara-Kiri, aujourd’hui chroniqueur au Nouvel Obs, ndlr] explique comment Cavanna s’est fait voler. C’est pourtant vrai, et il faut appeler un chat un chat, on lui a donné une obole [lors de la relance du titre, en 1992, ndlr]. Ils se sont comportés avec lui de manière lamentable, je pense notamment à Richard Malka. Bon, Malka, c’est un hasard malheureux si je retombe sur sa route [Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, a également été le défenseur de la multinationale Clearstream, lors du procès qui a opposé la société luxembourgeoise à Denis Robert, ndlr], mais tant pis... Je n’ai pas du tout envie de créer un conflit avec Philippe Val [directeur de la rédaction de Charlie Hebdo de 1992 à 2009, ndlr], encore moins que l’on parle du film à cause de ça ! Simplement, il était nécessaire d’aborder la question financière qui est au cœur du rapport de Cavanna à l’écriture. Comme l’explique très bien Delfeil de Ton, Cavanna était un malade de l’écriture, un vrai polygraphe. Mais l’écriture était aussi son unique gagne-pain. Ses chroniques hebdomadaires étaient donc essentielles pour lui, qui, auteur indépendant, n’avait pas de retraite, et aussi parce qu’il avait été spolié sur ses parts, dans la répartition du capital de Charlie Hebdo. De manière factuelle, il fallait que ces éléments apparaissent et les propos de Delfeil de Ton résument clairement les choses. Mais contrairement à ce qui a été écrit, ici ou là, ce n’est absolument pas un film coup de poing ou un film polémique !

Quelle a été la réaction de Cavanna quand vous lui avez présenté le projet ?

Il n’était pas très emballé, au début. Il pensait qu’il n’aurait pas grand-chose à dire. Je crois que le côté testament lui déplaisait. D’ailleurs, c’est assez troublant, parce qu’en voyant ces images aujourd’hui, je réalise combien il était conscient qu’il n’en avait plus pour longtemps. Tout ce qu’il dit sur la mort, sur les femmes ou l’écriture résonne déjà comme un message d’outre-tombe. Il sait que lorsque le film sera terminé, il aura lâché l’affaire. Moi, comme un idiot, je n’avais pas prévu sa mort. Les trois premiers entretiens, entre 2010 et 2011, se sont déroulés sans problème. Après, j’ai été de plus en plus dépendant de sa maladie, de ses chutes à répétition, de ses hospitalisations...

Avez-vous une dette particulière à son égard ?

Je l’ai rencontré à Metz, quand j’avais 22 ans. J’étais étudiant et j’avais lancé Santiag, un fanzine un peu luxueux. Il était venu nous épauler, moi et mon copain d’alors, qui est resté un ami : le dessinateur Lefred Thouron. A l’époque, Lefred et moi, on avait les cheveux longs, on voulait faire un vrai journal et Cavanna, pour nous, c’était Jésus-Christ ! On a passé une partie de la nuit à discuter, il nous a donné plein de conseils. Je lui dois une chose importante : en le lisant, j’ai compris que je pouvais écrire moi aussi. Je lui suis aussi reconnaissant pour tous les combats qu’il a menés, avec Charlie et Hara-Kiri. Chaque fois que je montre à des étudiants ou à ma fille, des vieilles couvertures d’Hara-Kiri, elles suscitent chez eux un tel effarement ! D’ailleurs, les unes sur les chambres à gaz, par exemple, ne seraient plus possibles. Cela prouve que l’on a un vrai souci : la société s’est durcie. Cela rend le film encore plus nécessaire. Voir ce vieux bonhomme s’exprimer de manière paisible sur la liberté, ça remet un peu de rationalité et d’intelligence dans le débat, qui devient trop dingue aujourd’hui !

En quoi l’attentat du 7 janvier a modifié le montage final de votre film ?

J’avais rendez-vous avec Georges Wolinski, la semaine où l’attentat contre Charlie a eu lieu. Je voulais absolument lui donner la parole dans le film, parce qu’il était, avec Delfeil de Ton, l’un des derniers vieux amis que Cavanna avait gardés. Ils étaient toujours en bisbille, se chamaillaient sans arrêt, mais s’aimaient beaucoup. On avait hélas souvent remis nos rendez-vous à plus tard, parce que Wolinski était très fatigué. Finalement, on s’est parlé au téléphone, le 4 ou le 5 janvier, il était enfin prêt à m’accorder l’entretien... dans la semaine même. 
Ma première idée, immédiatement après l’attentat, a été de remonter tout le film à l’aune de l’attaque terroriste, mais ce n’était pas judicieux. J’ai intégré en revanche d’autres conversations avec Cavanna et quelques archives sur Hara-Kiri et Charlie Hebdo. Et en mars, nous sommes allés interviewer Willem chez lui, sur l’île de Groix, pour qu’il puisse intervenir dans le documentaire un peu comme le dernier des Mohicans désormais... De la version cinéma, j’aimerais que les spectateurs retiennent une chose essentielle : des masses de Français ont défilé en disant « Je suis Charlie », mais s’il y en avait vraiment un qui pouvait se prévaloir du slogan, et l’assumer les yeux dans les yeux, c’était quand même bien Cavanna !


 Cavanna, même pas mort, de Denis et Nina Robert. 

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