lundi 7 avril 2014

Critique Musicale: Lady Linn - High (2014)


Flashback : Des débuts à la renommée nationale

C’est le 27 avril 1981 à Gand (dans le district de Sint-Amandsberg plus précisément), dans la région néerlandophone du Plat Pays, que Lien De Greef, future Lady Linn, voit le jour. La jeune fille tombera dans la marmite huit ans plus tard et débutera son apprentissage musical par celui du piano, de là naitra sa volonté de devenir pianiste. À l’âge de quinze ans se sont ses capacités vocales qui commenceront à être exploitées, Lien profitant de son intégration au sein d’un tout jeune groupe de Rock, fondé par des amis,  pour prendre place, en plus de son rôle de claviériste, derrière le micro. Très vite la demoiselle se découvrira meilleure dans le rôle de vocaliste plutôt que dans celui de pianiste[1].

Ces premiers pas dans le monde musical se concrétiseront un peu plus tard, à l’âge de 18 ans,  par une poursuite d’études au conservatoire de Gand pour une période d’environ cinq ans. Cinq années qui permettront à la jeune femme de se familiariser avec le chant, la musique et la composition propres au Jazz, sa source d’inspiration et influence majeure.

L’année 2004 marquera la sortie du conservatoire et le début d’une collaboration nouvelle pour Lien, celle d’avec le groupe de Pop  Bolchi, emmené par Jeroen De Pessemier. A cette même époque, les prémices d’un nouveau projet centré sur le Jazz, qui très vite deviendra connu sous le nom de Lady Linn And Her Magnificient Seven, se mettent en place. Ce projet résulte de la volonté de Lien de fonder autour d’elle un groupe de Swing Jazz après cinq ans passés à chanter et jouer du Swing Jazz au conservatoire. Entourée d’amis et de musiciens qu’elle apprécie, elle parvient à former son propre groupe, qu’elle qualifie elle-même de « petit Big Band »,  et joue une musique fortement inspirée de celle ayant parcourue les années 30 et 40. S’ensuivra ensuite le quasi-indispensable passage par la case « reprises », pour une durée de quatre ans, avant que Lien ne se mette finalement à composer ses propres titres[2].

Dans un entretien accordé à Cécile Duclos pour le site La Toile De Pandore, publié le 4 avril 2012, De Greef définira le son et le style musical de Lady Linn And Her Magnificient Seven de la façon suivante :

Pour moi, c'est un mix, ce n'est pas un style. Les chansons sont plutôt  romantiques, je trouve, et positives ! C'est acoustique, organique. Et puis c'est pop, bien sûr, et il y a sans doute des influences soul, jazz mais aussi country et bossa ».[3]

Le travail de composition et d’écriture du petit Big Band belge se concrétise en 2008 avec la sortie de Here We Go Again, leur premier effort discographique, qui se veut un disque de Jazz, tant sur la forme que sur le fond, les musiciens ayant pleinement, et certainement, voulu digérer les quelques années passées à jouer du Swing Jazz. De cet album on retient avant tout la vivacité des rythmes divers, les compositions enjouées, une voix au grain reconnaissable, maitrisée et affirmée et une prédominance des sections de cuivres misent en valeur par des arrangements conçus sur mesure. Lien confira d’ailleurs qu’à l’époque il lui semblait avoir écrit ses morceaux en premier lieu pour les cuivres et dans un seul et unique style : Celui des Big Bands[4]

Toute considération purement stylistique mise à part, Here We Go Again sera couronné de succès et permettra au groupe  Lady Linn And Her Magnificient Seven de décrocher leurs premières récompenses nationales significatives : 2 MIA[5] dans les catégories « Meilleure interprète féminine » et « Meilleur album pop ». Here We Go Again sera en outre disque de platine en Belgique et sortira chez nous l’année suivante[6].

Ces débuts très prometteurs et plutôt remarqués seront suivis par la parution, en 2011, de No Goodbye At All,  second opus de Lady Linn And Her Magnificient Seven. Cet opus, en plus de marquer une évolution certaine dans le style du groupe, voit celui-ci entamer une collaboration avec le producteur Renaud Létang qui lui a par le passé œuvré sur les disques de Manu Chao, Feist, Émilie Simon, Clémence Lhomme, Gonzales, Alain Souchon, Juliette, Abdel Malik, Jane Birkin ou Mathieu Boogaerts entre autres.

La collaboration avec ce producteur s’accompagne d’une nouvelle direction artistique, No Goodbye At All offrant cette fois à l’auditeur, tout en restant encré dans l’univers du Jazz, univers dans lequel les cuivres ne sont nullement négligés, une palette de sons lorgnant désormais vers la Pop. Ce changement notable n’a en rien émoussé les qualités entrevues sur le premier album et la voix de Lien se voit parfaitement mise en valeur dans toute cette jouerie Jazz aux contours mâtinés de Pop, la production de l’ensemble assurant un équilibre parfait au disque, aux titre le composant,  faisant du même coup de celui-ci un bel écrin. Cette sortie a permis à Lady Linn de toucher un public plus large au-delà des frontières de la seule musique Jazz.

Lien confira, au sujet de l’enregistrement de ce second album, que les titres qu’il renferme furent écrits de manière plus directe que par le passé et sans prise en compte des futurs arrangements qui viendraient nécessairement garnir ces compositions nouvelles. La création s’est donc voulue plus libre. Cette nouvelle façon d’appréhender la composition s’est également traduite sur le laps de temps nécessaire à l’enregistrement et au mixage du disque, l’ensemble ayant été finalisé en une quinzaine de jours à peine[7].

De tout ce travail ressort un disque mêlant sonorités Jazz, Pop et effluves de Soul nimbées d’un son se voulant à la fois calibré et plus direct. No Goodbye At All peut être perçu comme une « suite logique » à Here We Go Again de la part de Lady Linn And Her Magnificient Seven, une suite permettant à la fois au groupe de consolider les attentes placées en eux suite à la sortie de leur premier opus (le Jazz et le Swing étant eux toujours présents) et de s’ouvrir, de séduire un public plus large, le coté Pop plus accentué de cette collection de nouveau titres offrant désormais un plus large audimat. Si l’on se place de ce point de vue, Lady Linn And Her Magnificient Seven n’a pas loupé le coche avec ce second opus, opus qui, en France, est sorti le 19 mars 2012. Cette sortie sera suivie d’une assez belle carrière hexagonale pour ce disque, permettant à Lien et son groupe de gagner en visibilité sur les scènes et chaines de télévision françaises. Manifestement très inspirée à l’époque, Lien confia même, lors de la promotion de No Goodbye At All, être déjà en train d’œuvrer à la composition de ce qui devait être son troisième opus[8], opus sur lequel nous allons désormais nous pencher plus avant.

High : évolution et prise de risques ?

Après les succès successifs de ses prédécesseurs, il va sans dire que ce qui devait être le troisième opus de Lady Linn était pour le moins attendu. Le fonctionnement de l’industrie musicale l’a mainte fois démontré : nombreux sont les jeunes groupes à ne pas réussir ce que l’on serait tenté d’appeler  « la passe de trois », la sortie d’un troisième opus étant souvent révélateur du devenir du groupe en question. Souvent le premier album fait office de révélateur, le second confirme ou non le potentiel véritable du groupe et le troisième, si la réussite est au rendez-vous, fait en quelque sorte office de pierre angulaire dans la discographie et offre  ou non au groupe une place à défendre dans le paysage musical pour les années à venir. A ce quitte ou double, souvent l’audace paye.

D’audace Linn et son groupe ne semble pas en avoir manqué et ne pas avoir non plus hésité à prendre l’adage au mot. En effet La chanteuse a confié dans nos colonnes percevoir la sortie de ce troisième album comme une étape majeure dans sa carrière : Celle qui lui permettrait de se défaire de cette étiquette de chanteuse « rétro » qui semble lui avoir été accolée[9]. Sur cet album la vocaliste de Jazz assume pleinement son attrait pour la musique House et l’influence qu’a pu avoir sur ses nouvelles compositions son implication au sein du projet parallèle FCL, groupe pour lequel Linn mets sa voix aux services de classiques de la House et de la musique noire nord-américaine. Cette expérience sera qualifiée de « libératoire » et aura également pour effet de désinhiber la jeune femme à l’entame du processus d’écriture des titres qui devaient composer l’album qui nous occupe ici.

L’écriture des titres s’est elle aussi accompagnée de quelques changements notables, Linn ressentant le besoin de délaisser quelque peu son piano au profit d’une six cordes durant l’élaboration des premières démos. Une fois ces démos prêtes celles-ci furent confiées aux bons soins du guitariste Bruno De Groote qui se chargea des arrangements guitaristiques de chacune d’elles. Tout ce travail échoua finalement entre les mains (et les oreilles) du producteur Renaud Létang qui s’occupa par la suite d’octroyer à chacune des pistes les beats et tempos adéquats pour l’enregistrement final et édifia du même coup la base sur laquelle chacun des musiciens viendrait par la suite enregistrer sa partie en studio.

 Cette phase de la production transforma parfois radicalement certains titres, à une ballade pouvait succéder un morceau up-tempo par exemple…Voilà en tout cas qui semble témoigner de la fécondité du travail accompli et mettre en exergue le rôle prépondérant joué par Létang dans la conception finale de ce disque.
C’est en tout cas bel et bien à ce dernier que nous devons sur ce disque la présence d’éléments sonores propre à la Disco, la House ou la Dance, de telle sorte que, selon ce que nous a confié Lady Linn,  le son que renferme High est vraiment la résultante du travail conjoint des musiciens et Renaud Létang, ayant vraiment su mettre à profit la liberté qui leur étaient donnée sur cet enregistrement[10].

Combiner cette fois la musique Pop aux influences Disco, House, Soul, R&B, Reggae, Gospel et Folk pour mieux laisser de côté le Swing Jazz des années 40, ce pari pouvait sembler risquer, c’est pourtant celui que toute l’équipe à tenter de relever en sortant High !

Une collection de chansons « honnêtes et fraiches »

High sera dans les bacs dès le 31 mars prochain. La production du disque est irréprochable, le son est à la fois « carré » et « calibré ». On ne décèlera pas d’esbroufe ou  un quelconque défaut de surproduction : Chaque ligne instrumentale est propre et peaufinée, aucun instrument ne se voit négligé au profit d’un autre non plus. La voix très Soul de Linn est, elle vraiment mise en avant sur toute la longueur de l’album. En plus du son, c’est là un premier vecteur d’unicité pour ce disque.

De jolis accords de guitare acoustique introduisent Regret, plage titulaire et premier simple extrait de cet opus, avant de soutenir la voix de Linn qui d’entrée est parfaitement mise en avant et en valeur. Le titre recèle une agréable mélodie et est très efficacement soutenu en son milieu par un gimmick de batterie plutôt discret. Un titre bref et une entrée en matières très légerement tentée de Folk efficace.

High arrive ensuite. Ce titre, qui fut le premier à être enregistré en studio et est directement inspiré par Le soulman Charles Bradley, est un up-tempo efficace pourvu d’un beat  synthétique et de riffs guitaristiques légèrement saturés et énergiques auxquels vient se plaquer La voix mixée en avant. La ligne de basse est ronde et très présente. L’utilisation faites d’overdubs et la présence d’une nappe de synthétiseur en conclusion du morceau accentue son côté très Disco.

 Avec  Build Up c’est sur une boucle de synthétiseur et de boite à rythme minimaliste, mais au demeurant efficace, que vient se lover la voix chaude de Linn qui, dans ce phrasé plaintif, se part d’accents proches du Gospel. Ce titre est lent, sa ligne de basse massive et son écoute attentive laisse percevoir de discrètes racines jazzy à cette ballade mélodique.

Un gimmick de clavier et une rythmique efficace mais non envahissante servent de cadre au crêpage de chignon dépeint dans le titre Sassy. Après le Gospel c’est au R’n’B des années 90 que Linn empreinte quelques accents du plus bel effet.

Nous avons ensuite droit au titre The Beat, pièce centrale et à la fois la plus longue du disque. Cette position au sein de ce recueil de chanson ne tient selon nous pas d’un complet hasard. Très rythmé, ce titre semble plutôt assez représentatif du travail de Renaud Létang. Un refrain profondément Pop et très efficace cohabite judicieusement avec un beat de synthétiseur, une boucle de boite à rythme, une excellente ligne de basse pour un rendu très carré et propre de l’ensemble.

Une rythmique à la fois lente et massive soutenue par des accords de guitares minimalistes servant d’écrin à la voix, ce sont là les composantes de la chanson Remember.
C’est d’une rythmique emplit d’effluves Jazz dont est doté le titre Drive. Un titre qui, sur un tempo modéré, nous délivre un son Pop et enjoué pour un joli moment.

Never donne ensuite à entendre une ligne de basse massive, un gimmick de piano accrocheur et des percussions aussi discrètes qu’efficaces à l’édification de l’écrin sonore dans lequel une voix aux accents Soul et R’n’B se déploie au long de cette ballade.

Le titre Back arrive ensuite, paré de ses accords de guitare électrique, secondé par un gimmick légèrement plus abrasif et une rythmique « carrée », cette dernière n’étant nullement envahissante. Le chant redevient prioritairement jazzy et se place très à propos dans l’ensemble. La présence, ici plus marquée, de la section de cuivre rappellera aux auditeurs de longue date les précédents enregistrements. Ce titre est en lui-même un mélange d’influences diverses réussi!

L’opus se clôt avec le très beau Feeling Me, un morceau que Linn a confié avoir enregistré pour la toute première fois de façon a capella à l’aide de son répondeur avant d’en finaliser une version dance et énergique, pour finalement décider d’en revenir à la version « messagerie » originelle. Un moment de piano/voix que l’on pourrait apprécier comme étant une véritable tangente opérée par l’artiste au regard des albums précédents et qui suffira à convaincre une fois pour toutes des qualités vocales remarquables que possède Linn (et qui, par la même occasion, devrait permettre de faire cesser certaines comparaisons avec d’autres chanteuses, que nous jugeons parfois trop hâtives…) Un moment dépouillé pour une conclusion se faisant sur une note de douceur.

« Suddenly I feel So free
I say goodbye to all my worries
Taken over by
By this energy
Wich I didn’t know that I had inside of me »

*****

Entre les deux pôles plutôt acoustiques que sont les titres Regret et Feeling Me Lady Linn et son groupe ont su nous donner à entendre une nouvelle facette de leur savoir-faire, auquel s’ajoute celui, indispensable, de leur producteur Renaud Létang à leurs côtés pour la seconde fois. Ce troisième opus aura de quoi surprendre, décontenancer même, les amateurs de Jazz ayant particulièrement appréciés Here We Go Again et No Goodbye At All. Avec High, place est ici faite à une plus grande spontanéité, les musiciens se libèrent des contraintes et carcans du genre dans lequel ils œuvrés par le passé, ils expérimentent aussi bien plus. En d’autres termes, ils ont su prendre des risques, notamment celui de déplaire à une certaine frange de leur public déjà acquis, pour relever le défi du troisième album et faire ainsi « la passe de trois ».  Cela s’est fait dans l’ornière d’une musique certes plus « mainstream » et commerciale mais ce groupe ne s’est en aucun cas déparé de ce qui fait son originalité. Cette nouvelle direction artistique séduira à n’en pas douter un grand nombre d’auditeurs. Et ils possèdent de toute façon bien assez d’atout pour que le successeur de High renferme les mêmes qualités…
En attendant, on appréciera cet audacieux melting-pot d’influences aussi diverses que variées et concentrées en un disque pour le moins appréciable !

Liste des titres :

1.      Regret
2.      High
3.      Build Up
4.      Sassy
5.      The Beat
6.      Remember
7.      Drive
8.      Never
9.      Back
10.  Feeling Me

Lady Linn, High, Universal Music France


Xavier Fluet @GazetteDeParis

[1] Xavier Fluet, « Lady Linn : « High ? Des chansons pop honnêtes et fraiches ! », La Gazette De Paris, 19/03/2014. Lien : http://gazetteparis.fr/2014/03/19/musique-lady-linn-high-des-chansons-pop-honnetes-et-fraiches/
[2] Cécile Duclos, « Interview de Lady Linn, une drama queen inspirée », La Toile De Pandore, 04/04/2012. Lien : http://www.latoiledepandore.fr/2012/04/interview-de-lady-linn-une-drama-queen.html
[3] Ibid.
[4] Id.
[5] MIA : Music Industry Awards. Equivalent belge des Victoires De La Musique, chez nous français.
[6] Id. Cf. note 2
[7] Id.
[8] Id.
[9]  Cf. Note 1

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